Pourquoi changer radicalement d’encépagement, abandonner des cépages de renommées internationales au profit de parfaits inconnus ? Pour une raison essentielle, la résistance aux maladies et la promesse d’un vignoble vraiment sans pesticides. C’est ce pari que je vais vous raconter…
De nouveaux cépages pour du Super Bio
Tout a commencé en 2007 avec l’acquisition d’un vignoble Bio près d’Agde. J’étais plus attiré par le caractère volcanique du terroir que par la démarche Bio. L’utilisation systématique et quasi exclusive du cuivre et du soufre en viticulture biologique, pour lutter contre le mildiou et l’oïdium, me semblait en contradiction avec les objectifs écologiques. Ce fût l’occasion de réfléchir à une alternative.
Le déclic arriva fin août 2008 sur une parcelle d’essais d’Alain Bouquet près de Montpellier. Dans un parfait anonymat, cet obtenteur, mis au placard par l’INRA, avait sélectionné pendant de longues années des cépages résistants aux maladies. Malheureusement, aucune collaboration n’était possible. Mais cette visite m’encouragea à partir à la rencontre d’autres créateurs de cépages en Europe. En particulier, je fis la connaissance du Pr Jorger Volker à l’Institut de Freiburg en Allemagne ainsi que Philippe Borioli et Valentin Blattner, pépiniéristes privés près de Neufchâtel en Suisse. Chaque fois, le niveau de résistance de leurs sélections et la qualité des vins semblaient prometteurs pour une vraie viticulture biologique. Ils étaient enthousiastes à l’idée de diffuser leur travail et sortir de la confidentialité.
Bien-sûr, nous partions vers l’inconnu. Leurs cépages n’avaient que peu dépassé leur frontière et surtout, ils n’avaient jamais été à l’épreuve du climat méditerranéen. Mais avec mon père, nous avons pris le risque, en janvier 2009, de planter pas moins de 7 ha avec des sélections suisses et allemandes (0.5ha/cépage minimum). Ces surfaces importantes ont donné de la valeur et de la crédibilité aux observations. En dix ans, la résistance n’a fait que se confirmer. Même en 2018, avec une période de floraison très pluvieuse, la plupart des cépages n’a reçu aucun traitement. Seules quelques lignées moins résistantes, comme le Cabernet Blanc ou le Johanniter, ont nécessité un simple encadrement de fleur.
Au fils des ans, en élargissant nos partenariats à de nombreux pays comme l’Espagne et l’Italie, nous avons créé un vignoble unique en Europe. Notre idée, a priori utopique, est devenue réalité. Aujourd’hui, plus de 80 ha du Domaine La Colombette sont plantés avec ces nouveaux cépages et ne reçoivent évidement aucun pesticide de synthèse mais également pas de cuivre ni de soufre. Rien que du soleil et de l’eau de pluie.
On est désormais bien au-delà des objectifs du bio et des plans Ecophytos. En France, personne ne peut afficher de tels résultats environnementaux, notamment à l’échelle d’un si grand domaine. Cette décennie de travail nous a beaucoup appris. Notre vision de la viticulture a beaucoup changé et nous imaginons notre avenir qu’à travers ces cépages.
Vive le semis de pépins !
Pour bien comprendre la nature du changement, il faut avoir conscience que de nos jours la vigne est reproduite par bouturage ou par greffage, soit de manière totalement asexuée. On a créé ainsi des clones. Ce phénomène a été accentué par la confiscation du travail de sélection par quelques organismes de recherche. La plante n’a plus la possibilité d’évoluer et peu à peu, elle dégénère. Quelque part, le matériel végétal que nous utilisons aujourd’hui est comme fossilisé, depuis certainement la révolution française…
L’idée maîtresse de notre projet est de casser ce cycle en revenant à la reproduction sexuée. Il faut donc semer des pépins ! Ce mode de reproduction parfaitement naturel permet de recréer de la vinodiversité. On offre à la plante la possibilité d’évoluer avec son environnement. En choisissant judicieusement les parents, le vigneron peut espérer obtenir dans la descendance des pépins cumulant résistance aux maladies et qualités organoleptiques. Finalement, on s’inscrit dans la lignée d’hybrideurs célèbres comme G. Couderc, dont les recherches furent brutalement interrompues à la fin des années 50 quand le vignoble, comme le reste de l’agriculture, a basculé dans le tout chimique.
Depuis la seconde guerre mondiale, les plantes (comme les animaux) ne sont sélectionnées qu’en fonction de leur capacité productive. En cas d’agression par des ravageurs, on compte sur les pesticides pour régler le problème. La résistance aux maladies redevient dans ce système un critère prioritaire de la sélection. Les pesticides ne sont qu’une solution ultime et passagère.
Loin des standards, ces cépages ont dans leur ascendance certains parents célèbres comme le Chardonnay, le Cabernet, d’autres au passé plus sulfureux comme le Maréchal Foch, certains aux noms inconnus ou imprononçables comme le Kishmish vatkana, des sauvages arrivés de contrées lointaines comme Vitis amurensis ou Vitis caribaea, ou encore quelques adultères insoupçonnés finalement bienvenus. De ce grand métissage sont nés ces nouveaux cépages, loin de la standardisation.
C’est avant tout un travail de patience et d’observation. Cette recherche ne demande pas forcément de gros moyens. Le vigneron peut facilement s’investir. En retravaillant sur la base de cépages locaux, comme nous le faisons désormais, il pourra trouver des solutions pour une parfaite adaptation au terroir et au changement climatique.
Des vignerons résistants !
Je ne pourrais finir sans évoquer notre engagement militant pour faire connaitre la démarche auprès de nos confrères car cela a marqué cette décennie de travail.
Alors que le projet aurait dû faire consensus, on s’est heurté à un mur administratif. Il a fallu être plus résistant que nos vignes. France-Agrimer refusait l’idée d’expérimentation. Au bout de deux ans de bagarre, j’ai démontré que l’article 120 bis du RE de 2007 permettait une expérimentation sans restriction. Vexés de cette défaite, France-Agrimer et le Ministère de l’Agriculture ont publié plusieurs textes pour interdire les essais. Avec J. Ducourt, P. Bersac et S. Geoffray, nous avons créé l’association PIWI France et milité pour l’inscription et le classement d’urgence en France de 25 cépages résistants européens. Soutenus par des inter-professions du Languedoc et du Bordelais, nous sommes arrivés à faire inscrire 12 cépages, dont le fameux Souvignier Gris. La dernière joute règlementaire a eu lieu à l’automne 2019, devant le Conseil d’Etat, avec à la clé une belle victoire à propos de la dénomination Cabernet blanc.
Au cours de ces dix dernières années, nous avons largement fait partager notre expérience. Nous avons reçu de très nombreux confrères, étudiants, journalistes et chercheurs. Face à l’afflux de demandes de visite, une journée découverte a été organisée avec PIWI France réunissant plus de 200 viticulteurs.
Pour notre travail, j’ai été élu « Personnalité de l’année 2017 » par la revue Vitisphère. En 2018, j’ai reçu le « Prix de l’Innovation » de la part de La Revue du Vin de France. Enfin en 2019, la revue Terre de Vins m’a décerné le prix de « l’engagement sociétal et environnemental ». Un grand chelem…
Mais notre fierté, c’est que désormais, ces cépages colonisent tous les vignobles jusqu’aux plus insolites comme les vignes de Montmartre. Nous renouons aussi avec une histoire viticole en suspens depuis des années. Je vous laisse méditer ces mots de Georges Couderc au Congrès International Viticole de Montpellier en 1911 : « Les drogues, les remèdes ne peuvent être que des palliatifs passagers. Le Phylloxera a été vaincu par des vignes américaines et non par le sulfure ; la chlorose, par des porte-greffes des terrains calcaires et non par le sulfate de fer ; le mildiou le sera plus ou moins tôt par les hybrides qui lui résistent, tout le cuivre du monde, d’ailleurs n’y suffirait pas au bout de quelques siècles ».
VRAI / FAUX
5 idées reçues sur les cépages résistants
1/ Les cépages résistants sont tous des hybrides
FAUX : Un hybride est un individu dont les parents sont issus de deux espèces différentes, par exemple, Vitis riparia x Vitis lambrusca pour le Clinton. Ce n’est pas le cas des cépages résistants modernes que nous cultivons. Ils sont enregistrés auprès des instances internationales comme des Vitis vinifera. Certes, on trouve dans leur ascendance de la vigne sauvage ce qui explique leur résistance. Mais il faut remonter à plusieurs générations pour la retrouver. Elle est tellement diluée qu’elle n’est pas prise en compte. Les institutions françaises ont une position plus conservatrice…
2/ Les cépages résistants sont des OGM
FAUX : Tous les cépages résistants modernes sont issus de reproduction sexuée naturelle. On les sélectionne à partir de semis de pépins. Il n’y a pas de manipulation génétique.
3/ PIWI est une émission de télévision pour les enfants
VRAI : Mais c’est aussi une association européenne regroupant des chercheurs, des pépiniéristes et des vignerons, tous engagés dans cette nouvelle voie des cépages résistants. PIWI est l’acronyme du mot allemand « Pilzwiderstandsfhig » signifiant « capable de résister au champignon ».
4/ C’est rapide de créer un cépage résistant
FAUX : Pour créer un cépage résistant, il faut environ 15 ans de séléction. Après, il y a toute une démarche purement administrative auprès du CTPS et du Ministère de l’Agriculture pour le faire inscrire et classer afin de pouvoir le commercialiser. Normalement, cela prend 5 ans. Mais les institutions publiques françaises font du protectionnisme. Pour un obtenteur privé et a fortiori étranger, ce délai approche les dix ans…
5/ Les cépages résistants peuvent prétendre à l’AOP
VRAI : Mais administrativement, il faut les intégrer dans les cahiers des charges et c’est long. Par contre, il n’y a pas de doute sur le potentiel qualitatif et l’aptitude à faire de grands vins de garde complexes.
EN SAVOIR +
Comment créer un cépage résistant ?
ANNÉE 1 : CROISEMENT
1 > Choix des parents
Le principe est de choisir un cépage résistant et un plus qualitatif.
2 > Castration
Pour réaliser le croisement, on a besoin d’un parent strictement femelle. La fleur de vigne portant à la fois les organes mâles (étamines) et femelles (pistil), il faut donc couper les étamines pour rendre la fleur strictement femelle.
3 > Pollinisation
Une fois la castration réalisée, on pollinise avec du pollen recueilli sur l’autre parent et on protège la grappe avec un sachet.
4 > Récolte des pépins
Au mois de septembre, on récolte les grappes et on extrait les pépins.
ANNÉES 2 à 5 : SÉLECTION NATURELLE
1 > Semis des pépins
Précieusement conservés l’hiver, les pépins sont semés au printemps.
2 > Observation des symptômes
Après la germination, peu à peu les maladies apparaissent. Seules les plantules parfaitement saines sont conservées.
3 > Sélection naturelle
Les meilleures plantules sont transplantées dans un espace plus grand pour les mettre à fruit.
ANNÉES 5 à 15 : SÉLECTION VITICOLE ET ŒNOLOGIQUE
1 > Fructification
C’est l’étape la plus intuitive pour les plantes résistantes et fructifères, il va falloir repérer celles aptes à faire de grands vins.
2 > Multiplication
On regreffe les individus sélectionnés avec suffisamment de plants pour envisager une vinification.
3 > Vinification
On vinifie les individus sélectionnés pour valider leur qualité. On approche à ce stade de la dixième année après le croisement de base.
4 > Développement
On commence à passer à de l’expérimentation plus appliquée. On développe les plants qui ont passé l’étape de la vinification pour valider à l’échelle d’un demi-hectare.